Françoise Nyssen ministre de la Culture : de la «petite maison d'édition d'Arles» à la rue de Valois
Comment prévenir les services de la rue de Valois, au siège du ministère de la Culture, qu'une tempête réjouissante va passer dans les couloirs ? Françoise Nyssen semble sourire à tout, en tout lieu et à tout moment. Pas béatement, non, elle sourit d’être en mouvement de faire des choses, d’avoir une idée pour la réaliser, aller au bout de son idée, avant de passer à une autre, pour avancer. Françoise Nyssen est une femme et évidemment sa réussite ou la réussite d’Actes Sud, la maison d’édition fondée par son père, Hubert Nyssen, s’expliquait par la filiation. C’est oublier un peu vite qu’elle a tôt fait de rejoindre son père pour gérer, s’occuper des chiffres quand Hubert, puis Bertrand Py, le directeur éditorial de «la petite maison d’édition d’Arles», comme elle tente encore de parler d’Actes Sud, s’occupaient des lettres.
A ceux qui se posent la question de sa place dans la maison elle le dit clairement : «Je ne suis pas l’héritière d’une situation. Ce que nous avons fait, nous l’avons fait ensemble avec Hubert, avec Bertrand, avec Jean-Paul». Suivre Françoise Nyssen nécessite d’accepter les changements de direction soudains, depuis qu’elle a vu le jour, le 9 juin 1951 à Bruxelles. Elle devait être médecin, mais s’est dit qu’elle n’en serait pas capable, alors va pour la biologie moléculaire abandonnée avant le doctorat, pour militer dans les quartiers de Bruxelles qu’il faut défendre contre les projets venus d’en haut. Pendant quelques mois elle vivra la vie d’une fonctionnaire à l’urbanisme. Elle ne se sent pas à sa place : «J’arrivais tôt, déjeunais tôt pour partir tôt et m’occuper de mes deux enfants…» En 1978 elle rejoint donc son père pour assurer avec Jean-Paul Capitani, Arlésien de naissance et bougon par habitude, le développement d’Actes Sud. Chacun sait qu’une maison d’édition n’est pas le plus sûr endroit pour placer son argent. Elle en fera une maison prospère qui rivalise aujourd’hui avec les Gallimard, Grasset, le Seuil.
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En 2015, Actes Sud passera devant tout le monde en alignant, le Goncourt (Boussole, de Mathias Enard), le Goncourt du premier roman (Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud), et le Nobel de littérature (Svetlana Alexievitch). Après cela elle tente encore de dire «la petite maison…», s’arrête et sourit sentant qu’elle va un peu trop loin alors que l’on prépare son portrait pour la dernière page de Libération. Ce sourire reste accroché à son visage quand elle évoque David, son fils mort en 2012, ado qui ne trouva jamais sa place et qu'elle sublime en fondant une école baptisée Domaine du possible pour suivre les enfants de la maternelle au lycée avec bienveillance, une chose que l’Education nationale des deux côtés de la frontière franco-belge semble largement ignorer.
Une dernière chose à ceux qui croient qu’elle ne connaît que les livres, que toute petite elle dévorait dans sa bulle. La musique et le cinéma l’animent, donnent vie à son œil, à son cerveau, à son visage. Quand elle évoque les scénarios dévorés dans une commission du Centre national du cinéma, elle sourit et se demande ce qu’elle pourrait imaginer, faire, construire. Mais, puisqu’elle s’intéresse aussi aux mathématiques, aux sciences en général, peut-être fera-t-elle attention au patrimoine scientifique qu’elle a dans ses attributions. Bonne chance à ses collaborateurs pour la suivre. Va-t-elle abandonner Actes Sud ? Le mot est mal venu, Jean-Paul Capitani et Bertrand Py veillent à la «petite maison d’édition.»
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