ORLAN, CORPS À L’ART







Nos archives sont formelles, ORLAN, personnalité ultra-identifiée du monde de l’art, n’a jamais été portraiturée en der. Un paradoxe, tant le personnage a fini au fil des ans par éclipser l’œuvre. Elle s’en inquiétera tout au long de la longue séance photo, rappelant être avant tout «artiste à plein temps». Ce jour-là, ORLAN sort du salon de coiffure, pics dressés sur le crâne. Dans l’atelier du XIe arrondissement de Paris qu’elle occupe au fond d’une cour, environnée de ses œuvres, en majorité des autoportraits, s’affaire une assistante et trône dans un coin une petite photo avec Frédéric Mitterrand, des rangées de livres d’art et une pile de Libé («J’ai toujours voté à gauche»).
ORLAN s’écrit en majuscule, comme on nous l’a signifié à plusieurs reprises. «Elle ne souhaite pas que son nom parental apparaisse dans la presse, elle ne le donne, je cite, "qu’à la police"», insiste son attachée de presse, bien que celui-ci soit trouvable sur le Net en un clic. Cet alias choisi jadis à l’issue d’une séance chez le psy est devenu une marque de fabrique bien avant l’ère du personal branding.
Figure ambivalente de l’art contemporain, révérée à l’étranger et invitée un peu partout dans le monde (cet automne à Malaga, Séoul, Berlin…), elle affiche pourtant peu de rétrospectives et une cote sous-évaluée (20 000 euros pour une photo). Encore un paradoxe. «Mon souci, c’est le personnage, qui a été un peu instrumentalisé, mais elle en est en partie responsable», confie son galeriste, Michel Rein. Plasticienne surmédiatisée, provocatrice excentrique, voire pour certains caricature de l’artiste contemporain, le battage est tel que le grand public ne retient souvent d’une œuvre imposante et protéiforme (photos, performances, sculptures, art numérique) que sa série de neuf opérations chirurgicales réalisées dans les années 90, mises en scène et retransmises en direct au musée. Incompris, ce geste strictement artistique ne relève pas d’une coquetterie, au contraire. «Le masque de l’inné, le visage, nous est imposé. On n’est pas obligé de le reconstruire en se conformant au modèle prescrit ou à l’idéologie dominante», décrypte-t-elle, arborant aujourd’hui des implants aux tempes et une prothèse de bœuf dans la mâchoire, fixée par un ami dentiste et collectionneur.
A la fin des années 90, elle rencontre son galeriste, Michel Rein. Ils s’engueulent souvent, elle l’appelle parfois en pleine nuit. Il se souvient : «Il y a quinze ans, les gens s’arrêtaient de parler quand j’allais avec elle au restaurant, elle était très marginale.» Bon vendeur, il vante la «cohérence plastique d’une œuvre forte et respectée à travers le monde. ORLAN est toujours sortie du cadre. Dès les années 60, son travail comportait déjà de l’hybridation, le refus de la nature, de la beauté, de la séduction». Sans oublier une intuition visionnaire et un goût pour l’autodérision. Au Centre des arts d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) qui accueille ce mois-ci l’une de ses nombreuses expositions, elle haranguait avec malice le peloton de journalistes venus au vernissage : «Venez-voir, du feu sort de mon cul !»
A Saint-Etienne, où elle grandit au sortir de la guerre, la mère est chemisière, puis femme au foyer. Le père, ouvrier et électricien à l’opéra, l’emmène dans les coulisses. La famille est modeste mais ouverte d’esprit, espérantiste, naturiste, libertaire et se déplace en tandem. La jeune femme débute dans la province engourdie des années 60 par l’apprentissage «anachronique» de la peinture et de la sculpture. Rapidement, elle organise des interventions urbaines, fait avec les draps de son trousseau un strip-tease photographique et y brode les taches de sperme de ses amants. Elle voyage ensuite en Afrique et aux Etats-Unis, où elle fraie avec l’avant-garde. Le père meurt avant de voir éclore dans le scandale cette carrière fulgurante, la mère attendra en vain que sa fille se range.
Il y aura un avant et un après le Baiser de l’artiste (1977), performance fondatrice de la contre-culture des seventies où, depuis un guichet la représentant seins nus, elle propose de rouler une pelle aux visiteurs. Renvoyée de l’école où elle enseigne à Lyon, en froid avec sa famille, elle est harcelée à son domicile où elle reçoit du sperme par la poste. «C’était terrible mais j’ai toujours pensé qu’il faut faire et laisser dire», résume-t-elle. Portraitiste de la condition féminine, elle regrette la faible visibilité des femmes dans l’art. La critique d’art Elisabeth Lebovici écrivait d’ailleurs dans ces pages : «ORLAN en fait trop, mais trop en faire n’est-ce pas ce qu’on reproche toujours aux femmes, notamment aux femmes artistes ?» Féministe farouchement opposée au mariage comme à l’enfantement, elle a fini par épouser le critique d’art Raphaël Cuir, jadis assistant sur l’une de ses opérations chirurgicales.
L’œuvre d’ORLAN compose, sur un demi-siècle, l’histoire passionnante d’un corps, création monstrueuse dévolue tout entière à son art et à sa propre mise en scène. Plus jeune, elle créee même une unité de mesure, l’ORLAN-corps. «Une femme qui mesure l’espace à quatre pattes, c’était dérangeant à l’époque», sourit-elle. «Tout le monde a un corps, ce que j’ai à dire et ce que je fais concerne tout le monde. Mon corps est devenu un lieu de débat public, d’ailleurs j’ai toujours interrogé le statut du corps dans la société via les pressions sociales, politiques, religieuses qui s’impriment dans les chairs, particulièrement féminines.» Un art corporel que le public confond souvent avec celui de sa contemporaine Gina Pane. «ORLAN n’a jamais voulu souffrir, chez elle l’art charnel est une fête jubilatoire, pas une rédemption», corrige Michel Rein.
ORLAN, en somme, cumule l’ADN de l’artiste contemporain, tapageur, control freak, mégalo («je suis incontournable»). Et stratégique : «Elle est forte en RP, on la croise à toutes les fiestas un peu classieuses», commente un observateur. Jusqu’à attaquer en justice Lady Gaga pour contrefaçon faciale dans un clip (l’affaire suit son cours). «Elle use les assistants qui fabriquent toutes ses œuvres», ajoute une spécialiste de l’art contemporain. «Pas facile d’être un patron de gauche», rétorque l’intéressée. A 68 ans, il s’agit de durer. Ses dernières œuvres, au croisement de la génétique et des nouvelles technologies mélangent ainsi réalité augmentée et jeu vidéo. L’artiste se juge toujours «déréglante, décapante» mais reconnaît que, «dans l’art, ce qui prime c’est d’être émergent». Il y a quelques mois, après les attentats de Charlie Hebdo, en guise de protestation contre une polémique islamique, elle a retiré une œuvre d’une exposition à Clichy. Aujourd’hui, elle craint, «entre la censure et l’autocensure, qu’il y ait de moins en moins de libertés. On vit encore avec des idées d’il y a cent ans».

1947 : Naissance à Saint-Etienne. 1965 : Corps-Sculptures. 1977 : Le Baiser de l’artiste. 1990-1993 : Opérations Chirurgicales-Performances. 2015 : Expos à Berlin, Séoul, Malaga, Bamako… Jusqu’au 13 décembre : Expo au Centre des arts d’Enghien-les-Bains.

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